Kusito Niuliki. Version Française.

Publié le par Famille Vieux

Interview de Kusito Niuliki, 59 ans. Village de Taoa. Matapule ( Orateur du roi) du royaume d’Alo.

 

A quoi ressemblait ton quotidien lorsque tu étais enfant à Futuna ?

 

Ce dont je me souviens dans mon enfance, ce sont les allers/retours, Taoa/Tuatafa que je faisais avec mes parents. Les bébés étaient placés dans des paniers et les pères les portaient ainsi sur les épaules  lors des trajets. Ensuite lorsqu’ils commençaient à marcher, ils les habituaient à faire le circuit à pied.

A cette époque, nous n’avions que 2 jours d’école par semaine. Ce qui nous faisait revenir de Tuatafa tous les samedis après-midi.

 

Je comparerai plutôt la vie à Kolopelu (internat) en ce temps là, à une base militaire sans armes. On nous inculquait toutes sortes d’activités indispensables dans la vie d’un futunien : comment cultiver la terre, élever des cochons et autres animaux, approfondir notre connaissance de la Bible et de la religion catholique en général. En ce temps là, l’éducation n’était pas du tout ce qu’elle est de nos jours. Elle se résumait uniquement à l’apprentissage  des récits bibliques et des prières.

J’étais interne à Mauga, de 1962 à 1976. Il y avait 3 niveaux de scolarisation à Kolopelu :

Les plus jeunes n’allaient à l’école que la journée et ne rentraient dormir chez eux que le soir. Ensuite, on nous internait la semaine et le week-end nous rejoignions nos habitations. Et la dernière étape de cette scolarisation, c’est l’internement sans possibilité de rentrer chez soi jusqu'à la confirmation.

 

Une fois la confirmation faite, chaque jeune pouvait enfin rejoindre son village. Mais pas question d’aller habiter chez les parents. En effet, chaque village avait son « FALE UVO », sorte de foyer pour les jeunes célibataires. On en sortait qu’une fois marié ou lorsqu’on quittait l’île pour un voyage. Bien sûr cela ne concernait uniquement que la gent masculine, car les jeunes filles rentraient directement chez les parents.

Personnellement, je ne suis resté que 2 ans au « falé Uvo ». Ensuite je suis parti à Nouméa pour le service militaire pendant 3 ans. A l’issu de ces 3 années, je suis revenu sur l’île pour me marier. Deux ans après ce mariage je suis retourné à Nouméa chercher du travail en tant que maçon, ensuite retour définitif sur mon île natale où j’y suis ancré depuis.

 

 

 

 

Quel est ton rôle coutumier ?

 

Avant de répondre à cette question, je veux juste ajouter qu’en retournant au village après ces années d’internat, je fus nommé Chef des jeunes du « fale uvo » de Malae. A l’époque nous travaillions la terre, et ce que nous obtenions de nos cultures nous les offrions au roi Tuiagaifo, aux prêtres et à la chefferie. 

Ensuite, je devins président du parti socialiste à Alo en 1982. En ce temps là c’était Kameli Katoa qui était à la tête de ce parti.

Enfin dernièrement, je fus désigné par Mr Soane Maituku (précédent Tuiagaifo) « MATAPULE » en 2002. C’est le roi lui-même qui choisit son MATAPULE peu importe de quel village.

 

Peux-tu nous expliquer ce que c’est qu’un « MIO » ?

 

Pour répondre à cette question je vais prendre exemple sur la  « cérémonie du Kava royal».

En effet lors des grandes cérémonies qui réunissent le roi et toute sa chefferie, une fois que toute l’assemblée est au complet, je donne l’ordre de débuter la cérémonie du Kava.

Lorsque la personne qui prépare le breuvage du Kava a terminé de nettoyer les racines, il pousse un cri :

                        - Le Kava est nettoyé !

Ce à quoi, je réponds :

En attendant la préparation du Kava, je bénis toute l’assemblée et remercie Dieu pour que tout se déroule correctement (bien sûr avant, l’arrivée de la religion catholique sur notre île, nos ancêtres remerciaient le Dieu FAKAVELIKELE).

Ensuite un nouveau cri :

Le partage se fera de façon suivante :

Le premier Kava est pour Tuiagaifo, le second pour un homme ordinaire participant à la cérémonie, Le troisième est pour le Saakafu. Une fois que le Saakafu a terminé de boire son kava, des assistants se lèvent alors pour la grande distribution :

On commence par le Tiafoi, ensuite Sa’atula, Tuisa’avaka, Tuiasoa et Vakalasi.

Une fois la distribution terminée, un chef ou un homme quelconque de l’assemblée se présente pour la récitation du « Mio » avant le partage du « katoaga » (les cochons).

En voici un exemple de mio :

- Oh mio mio oh !

Je me dresse ivre d’exaspération pour plonger dans la rivière de Vaiata,

Une discussion masculine y a lieu en l’honneur d’un grand guerrier venu du ciel.

Fitumosogia, voici ton kava en l’honneur de Kula.

Lorsque tu seras prêt à voyager, passe par Futuna,

Terre de guerre entre Tribus.

Si tu poursuis vers Sikumafa’a, aucun guerrier ne pourra te défier,

Sauf à Matau’i où Osokalaga, descendant des dieux t’y attend…

 

Cette racine de kava qui est disposée devant vous,

a été arrachée, divisée, mâchée, puis brassée,

qu’on la prépare et qu’on la distribue

Car tout Futuna est réunie

OA ! O FALEA O KAVA O TAPA TO O MIO!

Ce n’est qu’après le mio qu’on procède à la distribution du « Katoaga ». 

 

Maintenant je réponds à ta question :

Le mio prend ses origines par exemple, après une confrontation entre 2 villages ou 2 guerriers. Ce sont les lamentations ou les cris de joies des femmes après la mort ou la victoire d’un grand guerrier très célèbre. Celui que je viens d’évoquer est celui d’un grand guerrier de Taoa nommé Osokalaga. Il a été sauvé par le village de Malae. C’est la raison pour laquelle jusqu’à nos jours le Sa’atula et le Tiafoi (c’est-à-dire les villages de Malae et Taoa) ne sont jamais entrés en guerre depuis nos ancêtres jusqu’à maintenant.

 

 

Comment devient-on chef coutumier ?

 

La chefferie est divisée en 3 niveaux :

La nomination d’un chef se fait comme l’intronisation d’un Roi : C’est la famille qui le choisi.

Exemple le Sa’atula de Malae : Toute la famille du Sa’atula se réunit pour désigner la personne qui portera ce titre. Le Sa’atula est issu de 3 familles : le « Fale’aliki », le « Faletiale » et le « Kakai » (le peuple).

On fait tourner la racine de Kava parmi ces 3 familles. Si l’une d’elle n’arrive pas à s’entendre sur une même personne, elle doit passer le kava à la famille suivante, et ainsi de suite.

Le « Kakai » (le peuple) est le dernier recours.

Actuellement la personne qui porte ce titre de Sa’atula est Setefano Takaniko, élu par le « Kakai ».

 

 

Quelle est la vision des jeunes d’aujourd’hui sur la coutume ?

 

Les jeunes sont divisés en 2 clans : Ceux qui pratiquent la coutume quotidiennement et ceux qui refusent de l’adopter.

Mais je pense qu’actuellement la majorité des jeunes sont pour la conservation des traditions et des coutumes futuniennes.

Toutefois, je suis convaincu qu’à l’avenir les jeunes risquent de se soulever contre ces coutumes ancestrales. Mais pour l’instant, ce n’est pas encore le cas…

 

Ne trouves-tu pas que la coutume est un trop lourd fardeau pour les futuniens ? Est ce que les gens y participent autant qu’avant ?

 

En fait, les gens oublient souvent ce qu’est réellement la coutume.

Il faut bien faire la distinction entre la coutume et la fierté d’un homme. La coutume en elle-même n’est pas une trop lourde charge, dans la mesure ou un futunien dépense environ un ou 2 cochons et quelques tarots par ans pour les fêtes religieuses par exemple.

En revanche, certains font l’amalgame entre coutume et fierté personnelle : par exemple lorsque l’aîné d’un couple fait sa  première communion, toute la famille se réunit pour faire la fête. Et pendant ces festivités, on dépense énormément. Ces pratiques ne font parties des traditions futuniennes. On ne force pas les gens à fêter les communions de leurs enfants, loin de là. Chacun est libre de faire son choix.

Actuellement, la grande majorité du peuple futunien est encore très attachée aux traditions et aux coutumes de notre petite île. Nombreux sont ceux qui obéissent encore au roi et à sa chefferie.

 

 

Est ce que la valeur du cochon est aujourd’hui aussi importante que par le passé. Aujourd’hui, un homme riche est-il celui qui a beaucoup de cochons ou beaucoup d’argent ?

 

Le cochon a toujours été un des éléments fondamentaux dans la vie des futuniens.

Du temps de nos ancêtres, ils se nourrissaient du cochon et s’en servaient également pour faire la coutume. De nos jours encore, le cochon tient une place très importante surtout lors des fêtes religieuses ou des cérémonies d’intronisation par exemple.

Avec l’arrivée des sacs de nourriture pour cochons dans les magasins, des porcheries se sont développées partout sur l’île. Et les « katoaga » d’aujourd’hui sont beaucoup plus imposants qu’auparavant. Chaque famille possède son parc à cochon.

Dans le passé, un homme qui cultivait la terre, qui élevait des cochons, était considéré comme riche. Maintenant ce n’est plus le cas. L’argent a tout changé. Un futunien qui travaille et qui a une bonne rentrée d’argent est un futunien riche car plus il a d’argent plus il a de cochons puisqu’il peut acheter de quoi les nourrir.

 

 

Quels sont les rapports entre la coutume et le sous préfet ?

 

Le Sous-préfet est le représentant de l’état français sur Futuna. Le Roi et sa chefferie sont les gardiens de la coutume futunienne. Selon le décret de 1961, le Sous-préfet comme le Roi et toute sa chefferie doivent collaborer dans le respect. En effet pour les décisions à prendre en ce qui concerne les tâches administratives, le Sous-préfet est le seul à pouvoir trancher. Le roi et sa chefferie s’occupent par exemple des litiges entre futuniens. Mais, ces deux autorités doivent coopérer pour une meilleure gestion de l’île.

 

 

Comment vois-tu l’avenir de l’île ?

 

Je pense que l’avenir de Futuna est entre les mains des jeunes étudiants. Nous avons besoin de jeunes intellectuels pour développer l’île. J’espère qu’elle poursuivra son développement économique tout en respectant nos traditions ancestrales. C’est la raison pour laquelle je pense que nos élus territoriaux doivent faire tout le nécessaire pour aider les jeunes à poursuivre leurs études afin que Futuna puisse se construire un meilleur avenir.

 

 

Que penses-tu des wallisiens et futuniens qui vivent en métropole et qui sont à l’écoute de ton interview ?

 

Il est vrai qu’il y a énormément de wallisiens et futuniens qui vivent en métropole ou ailleurs. Ce phénomène est le résultat du manque d’activité professionnelle sur nos îles. Il suffit qu’un membre d’une famille trouve un travail en métropole par exemple, puis tout le reste suit le même trajet. Beaucoup de jeunes partent avec l’espoir de revenir travailler dans nos îles mais ce qui les retient c’est bien sûr le manque de travail sur place. Nous constatons d’ailleurs une baisse de natalité due à ces migrations. L’île se vide tout doucement de ces jeunes.

 

 

Peux-tu nous parler brièvement du cahier des lois de la chefferie d’Alo ?

 

Ce cahier a été édité pour encourager les Futuniens du royaume d’Alo, surtout, à obéir et à respecter l’autorité royale et sa chefferie.

Ainsi ce cahier incite les futuniens à aller à la messe car l’église se vide de plus en plus les dimanches.

Ensuite concernant les débordements des ivrognes, que ce soit d’Alo ou de Sigave, une loi les punit.

Dans ce Cahier de Lois, on incite également les jeunes à passer leur permis afin d’éviter des accidents et bien d’autres points que je ne citerai pas car moi-même je ne l’ai pas encore lu.

 

 

 

Merci beaucoup à Eva pour la traduction de l'interview.

 

 

 

 

 

 

                       

 

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